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Discussion: Naissance.

  1. #1
    Constructeur de cabanes en bois Avatar de Coeuraile
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    juin 2012
    Messages
    2
    Monde
    Terres d'Ambre

    Naissance.

    Ce fut un jour de silence qu’elle naquit, un jour de silence parmi la science. Dans les frondaisons d’une forêt sans nom, à l’orée de grands monts, couchée sur le sol, sa mère expulsait avec difficulté les souffrances de la mise en enfance. Dans la pénombre d’un arbre feuillu, le père restait fermé, de visage et d’esprit. La scène, noyée dans un halo d’ombre, contrastait vivement avec la lumière douce et sereine qui l’environnait pourtant. Il n’y avait ni vent, ni parent, ce fut sans bruit, sans ami.

    Par un violent à-coup, elle débuta le long ballet qui la sortirait des entrailles maternelles. Son centaure de père vint poser ses deux mains sur le ventre chaud et distendu de sa femme, appliquant de son mieux les doigts sur le bébé à venir. Sa compagne planta ses serres antérieures dans la terre humide et poussa par de brèves saccades pour exhaler du mieux possible sa douloureuse progéniture. Mais l’enfant n’arrivait pas, malgré les heurts et les secousses.

    C’était les yeux révulsés sur sa face putride et puante que la harpie donnait lentement vie à sa fille bâtarde. Les plumes de son abdomen étaient couvertes de sueur et de sang, collées à la peau et disgracieuses, ses serres labouraient le sol en de long raclements essoufflés, ses griffes s’ouvraient et se refermaient au rythme de sa respiration hachée. C’était les sourcils froncés et les dents serrées que le centaure aidait sa femme du mieux qu’il le pouvait, son poitrail enflant et s’affaissant à la musique de ses efforts pour tenter de mettre la future née dans une position convenable. En nage et en rage, ils luttaient pour offrir au monde une fille mutante, issue de deux lignées de chimères en guerre. Ce serait le présent de l’union entre l’indécence et l’innocence, la fusion entre la cruauté et la sagacité, la fonte de la méfiance et de la constance.

    Il y avait caché là, sous les bras d’un arbre complice, l’accomplissement d’un acte improbable né du mariage d’une harpie et d’un centaure. La mise en enfance de l’art impie et non sans tort, là, dissimulée aux yeux du tout puissant par les ramures pernicieuses d’un végétal capricieux. Volonté commune de deux être de mettre fin à une guerre ancestrale en mettant bas à une enfant porteuse du visage de ses parents. Elle était mi-fugue, mi-raison, dans un univers fantasque et malgré toutes les dissidences, rien n’avait pu subtiliser au couple les tenants de leur aboutissant. D’une double envolée, ils avaient mis au défi la nature même par la fécondation d’une passion vouée à la perte, et enjambaient sans remords les obstacles qu’elle leur dressait.

    Dans la lumière fuyante d’un après-midi agonisant, l’univers fut témoin de l’apparition du premier appendice de l’enfant si étranger. Une patte recourbée, gluante de liquide, jaillit des cuisses de la mère comme un affront vers le ciel. Dressée ainsi qu’elle était, pliée de manière incongrue, ne sachant pas si elle devait se couvrir d’écailles ou de fourrure et se contentant d’un semblant de l’un pour une imitation de l’autre. Mais malgré l’horreur de sa parure, le père de cette créature vit dans cet essai de sortie comme la promesse d’une joie assortie, celle de la naissance de sa fille. Saisissant le membre ostentatoire d’une poigne vigoureuse, il entreprit d’amener à lui celle qu’il avait contribué à mettre au monde.

    Ce furent les yeux d’un bois muet qui devint témoin de l’abject accouchement d’une enfant née de deux parents trop différents. Succédant à la patte première dehors, les autres appendices firent irruption avec un fracas silencieux dans la froideur du soir. La bête tomba du corps de sa mère comme un coup de tonnerre sourd et puissant, faisant trembler le sol et crier les os. A la vue du spectacle qu’elle leur offrit, les feuilles bruissèrent de terreur, rendues folles par l’immonde créature qui apparu d’un coup à leur vue.
    Le corps humide et flasque, l’être nouveau irradiait la souffrance. Ses courbes tortueuses paraissaient sinuer à des endroits improbables, pourtant, des os saillants enflaient de grinçants chapiteaux. La peau était lâche et tendue, terne et brillante, couverte de plaques éparses de croute solide et noire à mi chemin entre la corne et la plume. Sur son visage anguleux et vide, pointaient des myriades de tâches blanches, semblables à une armée de vers prête à effacer de la terre l’avilissement qu’elle subissait.

    Et tout cela dans le froid et le silence rauque de deux chimères retenant leur souffle. Le regard braqué vers le fruit de leur amour, contemplant l’enfant qu’ils avaient arraché aux limbes interdits pour introduire contre toute sagesse dans la vie. L’univers même s’était figé en une stupeur d’angoisse, conscient de l’énormité qui se produisait dans la lumière effacée d’un début de nuit. Au fond du ciel, la lune cachait ses yeux derrière les montagnes froides, craignant de poser son regard sur la béante affliction de ces cuisses ouvertes face au retord rebut. L’océan cessa ses marées, stoppant son oscillation par peur de perdre un moment de ce qui venait d’être, effrayé jusqu’à ses plus profondes abysses.

    Mais, dans la moiteur fraiche, rien ne bougea. La poitrine tordue de l’enfant ne se soulevait pas, son cœur immobile battait du tic tac de l’horloge arrêtée. Stoppée en pleine lancée, la révolution des espèces cessa, bloquée dans son plus intime accomplissement. Ce fut une nuit de silence qu’elle naquit mort-née, une nuit de silence parmi la science.

    Ces yeux ouverts qui regardent l'enfer.

  2. #2
    Bâtisseur fou
    Date d'inscription
    octobre 2011
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    100
    Monde
    Terres d'Ambre
    Tu as su rendre ce récit vivant, bien que sans dialogue. J'ai pas à pas assisté à la naissance de cet être en regardant, j'ai bien dit regardant, les images que tu as su créer dans ma tête.
    Ne serait-ce que pour cela, merci.
    Ambrune

  3. #3
    Constructeur de cabanes en bois Avatar de Coeuraile
    Date d'inscription
    juin 2012
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    Monde
    Terres d'Ambre
    Merci à toi, surtout, d'apprécier ce que j'écris. Ça me touche beaucoup, c'est un plaisir d'avoir réussi à créer, dans ta tête au moins, cet univers fantastique et cette scène hors du commun. J'essaierai de continuer à te donner ça.

    Ces yeux ouverts qui regardent l'enfer.

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